Les patrons de PME me font souvent part de leur appréhension à l’idée de rencontrer un banquier. La méfiance qui perdure entre les banquiers et les entrepreneurs est profondément ancrée dans les mentalités africaines. Pourquoi ? Non pas parce que les entrepreneurs sont par nature insolvables, mais parce qu’obtenir un prêt reste d’une extraordinaire difficulté sur notre continent. Le dire relèverait presque du cliché tant la question est débattue. Mais le constat est implacable : en Afrique les crédits au secteur privé représentent moins de 20 % du PIB, contre 255 % aux États-Unis et seulement 6,4 % des PME ont accès aux financements bancaires !
En réalité, le problème d’accès au financement concerne de façon disproportionnée les PME de taille intermédiaire – ce que nous appelons le « chaînon manquant ». Les plus fragiles peuvent s’adresser aux institutions de microfinance et les plus solides aux banques « classiques ». Mais celles qui cherchent des crédits compris entre une dizaine de milliers d’euros et 500 000 euros sont bien souvent laissées pour compte. Selon Standard Bank, le déficit de financement total pour les PME en Afrique est estimé à plus de 140 milliards de dollars. C’est plus de six fois le PIB de la Côte d’Ivoire. C’est pour répondre à leurs besoins que j’ai quitté la banque pour m’engager dans la mésofinance
Pour financer ce chaînon manquant, certaines institutions de microfinance cherchent à compléter leur palette de services vers le haut tandis que certaines banques tentent au contraire de descendre dans leur offre. Je suis convaincu que seuls des acteurs consacrés exclusivement à ce segment du marché sont en mesure de le comprendre et de le servir. S’il a jusqu’alors été dédaigné par les institutions financières, ce n’est pas parce que personne n’y a pensé, mais parce qu’il est extraordinairement complexe de s’y déployer.
Une institution spécialisée doit maîtriser plusieurs outils pour financer les PME. D’abord, elle doit avoir mis au point un service de notation des sociétés qui font appel à elle. La clé du succès, c’est l’analyse crédit. Il faut avoir l’idée la plus précise possible de la solvabilité d’un client potentiel. Il faut tout fonder sur la connaissance du client. Je dis souvent que nos clients sont ceux que nous rencontrons le matin en allant travailler et le soir sur le chemin du retour. Il faut allier connaissance de proximité et connaissance comptable.
L’autre point essentiel, c’est l’accompagnement. Des chiffres révèlent que 60 % des entreprises ciblées font faillite dans leur première année d’existence. Or les banques et IMF sont insuffisamment outillées pour le suivi de leurs clients. Les IMF parce que la multiplicité de dossiers financés pour des montants relativement faibles ne leur permet pas de réaliser un suivi rigoureux. Les banques car ce n’est tout simplement pas leur métier. Elles préfèrent prendre des garanties exorbitantes plutôt que d’évaluer rigoureusement le risque crédit.
Les prêts constituent une étape essentielle dans l’histoire entrepreneuriale de nos clients et nous sommes là pour que cette aventure continue le plus longtemps possible. C’est pourquoi les équipes de ces nouveaux établissements de crédit doivent être constituées à la fois de professionnels de la finance et du conseil en stratégie d’entreprise. C’est en combinant ces deux approches, un peu à la manière d’un fonds de capital-investissement, que nous allons participer à rétablir le contrat de confiance si nécessaire à une relation fructueuse entre les financiers et ceux qui créent véritablement la richesse !
Source: Journal: Le Monde